Alliés ou aliens : la drôle d'équipe 2

Publié le par stéphane.grim

Réaction à un texte de Jacque Sapir dans Marianne2 : "Crise de la zone euro : après le Grèce, à qui le tour ?" le 29 avril 2009.

 

(Préalable : je soutien activement l'idée d'un rassemblement de gauche, mais compte tenu de la gravité de la situation nationale, internationale, environnementale et de la vitesse de la décomposition, il me parait "vital" d'envisager une autre possibilité, que l'histoire a déjà permis, qui a l'avantage immense, je crois, de rester dans l'idée de "progrès humain" cher à J. Généreux et est dès maintenant largement majoritaire dans le peuple souverain, ceci sans renier des divergences fortes et donc des combats politiques futurs à nouveau rétablis dans un cadre républicain. Cette perception du degré de gravité explique cette propositon).

 

... et cette nouvelle alliance doit aller (par étapes sans doute) de la gauche radicale aux néo-gaullistes, via une grande partie du pôle écologiste, ainsi que ceux qui dans le camp conservateur et démocrate chrétien, par une critique de la technique et du matérialisme absolus, peuvent nous rejoindre, enfin quelques éléments libéraux sincèrement conscients de l'antilibéralisme intégral de la marche du Monde.

Cet ensemble peut trouver, malgré des divergences puissantes, une plateforme commune. Ce néo CNR complété d'un courant écologiste inexistant à l'époque avait été évoqué par Jean François Kahn en début 2007 ; j'avais moi même envoyé ici en commentaire un texte dans le même sens quelques jours auparavant ; ce n'est évidemment pas un hasard mais une convergence logique de réflexions, présente chez bien d'autres sans aucun doute.

L'intérêt de ce que vous écrivez, monsieur Sapir, (et qui reprend votre texte de fin 2009) c'est que vous le liez à la notion de souveraineté. En ce sens vous partagez la logique défendue par Via Campesina notamment. Effectivement la démocratie est indissociable de la souveraineté.

Inévitablement la question est "qui est en face ?" ; j'ai eu l'occasion de le définir dans un précédent texte. On peut le résumer, je pense, à un ensemble du "no limit". A ce stade je crois qu'il faut distinguer la plus grande partie de l'encadrement supérieur des partis concernés de ses sympatisants, militants, petits cadres ou simples votants qui sont en capacité de se démobiliser voire même de se désolidariser dans un contexte de crise majeure si une opposition crédible se présente.

Le FN (même si les discours de Marine Lepen, comme ceux de la Ligue du Nord mêlent conflit ethnique et conflit social ce qui rend leurs discours d'une grande dangerosité), l'UMP et ses satellites font partie de ce camp de la pulsion de mort. Si ce dernier a fait sa mue et aboutit à la création de Debout la République ce qui est très éclairant pour qui veut bien ouvrir les yeux, si cette mue reste fragile compte tenu de cette opposition croissante avec des élites en dérive, le vrai champ de bataille reste... le PS. La nécrose progressive (sortie respectivement des républicains, des écologistes, d'une partie de la gauche du parti, puis d'éléments de droite) est temporairement freinée, le parti mis sous cloche ; le marais tient actuellement le parti ce qui empêche tout véritable choix et participera donc d'autant plus à la décomposition terminale. Le PS, devenu majoritairement parti d'élus et de classes moyennes supérieures est tétanisé et tente un approximatif retour vers la gauche mais face à des temps de tempêtes et des choix fondamentaux il est peu probable qu'il soit en capacité de passer à l'acte malgré une tentative sincère venant de la gauche et qui a son utilité ; une prise de décision ne se trouve pas dans un esprit indécis enfermé dans ses mécanismes passés.

 

 

j'allais oublier de bien préciser que cette alliance fut avancée de manière proche par monsieur Sapir dans un texte de fin 2009 "je suis démocrate, donc souverainiste" du 12 octobre 2009.

Ses propos étaient les suivants :

"Tout rassemblement de citoyens et d’intellectuels doit déboucher sur un rassemblement politique ou se condamne à l’impuissance. Celui que j’appelle de mes vœux ira de l’extrême gauche jusqu’aux néo-gaullistes qui partagent nombre de ces idées. Elle exclura cependant une fraction du PS qui me semble engagée dans la dérive des « néo-socialistes » de Marcel Déat dont l’article « Mourir pour Dantzig ? » trouve un étrange écho dans certaines affirmations néo-libérales et prises de positions pour le libre-échange. Il s’exprime une véritable haine de la Nation et de la Démocratie dans ce courant et dans ces pratiques quotidiennes".

Un diagnostic qui semble se confirmer dans le dernier ouvrage de Patrick Arthus : le mur est devant... mais on ne peut rien faire sauf parier sur les institutions internationales ou européennes. Cette posture reprend les mêmes errances que celle de la SFIO jusqu'à 1940, avec les mêmes mécaniques intellectuelles même si le contexte international est différent (invocation européenne pacificatrice, tropisme de certains pour un modèle continental opprimant, radicalisation des élites et rejet de la démocratie). Un doute ? allez écouter Dominique Reynier dans l'émission "Du grain à moudre" sur France Culture le 13 avril (fin d'émission). Les populations ne vont pas accepter éternellement des potions désagrables comme le dit notre aimable expert, mais il est désolé il n'y a pas d'autre solution... ce qui signifie tacitement mais clairement pour qui veut entendre : "ça me répugne mais la sortie de la démocratie et la soumission par la violence seront inévitables". Ne vous y trompez pas et écoutez les, lisez les, nombreux sont ceux qui ont déjà accepté par avance une telle échéance. Copié collé argentin et grec.

Il ne s'agit pas de condamner le PS comme un tout, des gens solides s'y trouvent et le marais se divisera par la force de l'histoire, mais effectivement il faut exclure de cette nouvelle alliance une partie importante du PS.

Proposer une telle voie pour un militant c'est évidemment donner le baton pour se faire battre lorsque tout est mis en place pour ressouder ce qui ne peut l'être (quand bien même cette soudure artificielle apportait la victoire électorale, gagner pour gagner équivaudra à ouvrir grande les portes du chaos). Et pourtant il faut bien rappeller à tous que si l'unité a été nourricière pour le socialisme, ce dernier fut victime de sa religion de l'unité dans les années 30, ce propos n'est pas originellement de moi mais de Blum dans son livre essentiel "A l'échelle humaine". L'unité est un Janus, nous en sommes à la face sombre et d'une manière ou d'une autre il faudra bien se scinder ou pousser vers la sortie si une improbable rénovation faisait jour.

 

Comment expliquer que des hommes qui se disent de gauche en arrivent là ?
Peur traumatique, internationalisme dévoyé, soumission au racket, adhésion de classe sont les piliers de cette dérive.

Comme l'Allemagne dont l'inconscient collectif reste marquée au fer rouge par la dévaluation et la crise sociale et politique liée, des hommes comme Delors ou Rocard, nés avant guerre, sont enfermés dans une peur traumatique. Leurs prises de position publiques soulignent constamment ce point de fixation et expliquent ce que représente pour eux le projet européen. Ils s'inscrivent dans le droit fil de Jean Monnet. La haine de la Nation, synonyme de protectionnisme et de guerre bloque toute capacité de compréhension et explique que face à leurs angoisses ils sont prêt à tout sacrifier. Pour eux l'imbrication

économique est le clef de voute de la paix, erreur de raisonnement fatale, c'est exactement l'inverse.

  

Une logique internationaliste pervertie peut aussi conduire à avancer l'argument suivant : "comment vous ne voulez pas que d'autres se développent, fusse au prix d'une réduction de votre niveau de vie ?" Ce type d'argumentaire constitue la colonne vertébrale d'un Pascal Lamy, mêlant un appel à la morale et aux idéaux de partage avec une action politique totalement abjecte et générant les pires réactions, donc totalement stupide et surtout révélatrice d'une soumission à une réalité terrible : le moteur économique mondial a besoin de la fraude, du crime, de la négation des peuples pour fonctionner encore un peu. Il ne serait guère surprenant dans ce dernier cas que son nom reste associé à une perception internationale de crime contre l'humanité par le biais économique, générant les pires démons dans les pays industrialisés (en particulier en Europe) et accentuant encore la haine de l'Occident comme le souligne J. Ziegler.

Ceci est d'autant plus dramatique qu'une voie vers une société plus sobre semble effectivement essentielle.. mais certainement pas par un tel chemin de mort.

D'autres s'inscrivent dans une logique très classique : se soumettre au racket. Parler de régulation, de protectionnisme, de conflit avec les institutions internationnales, de bras de fer avec certains pays, de combattre des groupes économiques et un groupe social c'est sonner le tocsin contre notre pays, c'est donner sa tête à la hache du bourreau, c'est voir le Marché sanctionner immédiatemment et férocement toute vélléité de résistance et de changement.
Le bloc des gauches, le cartel des gauches ou le front populaire se sont heurtés au même mur : le mur de l'argent (haa ce vieux vocabulaire archaïque quand le modernisme le plus  mésozoïque nous bassine au quotidien!). La pression est agravée par la combinaison entre l'internationalisation radicale du capital et l'imbrication d'une partie de la population dans certains pays dans le boursicottage.
Voilà pourquoi mieux vaut parler au PS, avec mille précautions et le dos au mur, d'écluses plutôt que de protectionnisme, et invoquer des accords européens ou internationaux improbables et d'ailleurs non définis plutôt que d'écrire par quel moyen négocier et quoi négocier. Un parti de gouvernement, des politiques qui se pensent en légitimité de pouvoir et bientôt en poste excluent avec la plus grande vigueur de provoquer une réaction du capital.
C'est exactement la mécanique du racket que connaissent certains élèves.

Enfin, l'éducation et la place sociale de ces hommes qui se revendiquent de gauche les séparent de la plus grande partie de la population. Le basculement des classes moyennes puis par un effet de contagion qui remonte progressivement vers les classes moyennes supérieures au travers des plus jeunes, isolent de plus en plus ce groupe. La révolution de 89, celle de 1848 ou les années trente, pour ne prendre que ces exemples là, ont connu le même phénomène, cela signifie la proximité d'un basculement majeur. La surdité du groupe installé est un classique historique une fois de plus vérifié. Les contextes changent, les mécaniques humaines de fond se répètent.
La forte représentation (variable bien sûr selon les lieux) d'élèves de l'ENA, de catégories supérieures dans le PS, de catégories A pousse à l'isolement. Des mules savantes bloquées mentalement dans un modèle ont la plus grande difficulté à imaginer autre chose. La forte présence d'élus n'est pas plus une aide en ce sens où les cadres dominants du PS, élus, même en contact avec la population, ne vivent ni comme eux, ni parmis eux, ces échanges sont écourtés dans le temps et cadrés par un échange conflictuel de rue connu ou dans une soumission qui édulcore les propos et le ressenti. Rajouté à cela, dans la fraude désormais systémique, ce que William Black appelle la fraude de contrôle, c'est à dire que la place sociale implique un niveau de fraude tendantiellement accru, le cocktail est égal au curare.
La radicalisation des élites touche donc de plein fouet ce parti.
On peut rajouter que l'entremêlement croissant des économies accroît le tropisme de certains hommes dits de gauche pour des compromis voire une fascination envers un modèle continental. Ce phénomène a marqué les années trente, le modèle fut l'Allemagne. Désormais après les modèles rhénan social démocrate déjà éloigné de nous, puis nippon, enfin anglo saxon, le modèle est désormais chinois pour nombre de décideurs. Dans un tel contexte beaucoup de nos hommes de gauche espèrent garder une marge de manoeuvre collective (et son confort personnel) dans ce nouvau Monde, comme Pierre Laval dans la nouvelle Europe ; cette mécanique est aisée à décrypter dans les écrits, propos et décisions ; sauver l'essentiel et se maintenir ou se hisser au milieu de cette mutation, voilà la démarche de nos maquignons.

Enfermés dans leurs peurs, leur soumission au racket globalitaire, leur groupe social et leur calculs médiocres, le résultat est devant nos yeux.

Tous perdus ? Certes non car beaucoup pensent bien faire. Mais il faudra bien, le plus tôt possible vu la gravité de la situation, pousser ces gens dans leurs retranchements.
On pourrait dire que ne pas heurter le capital, le marché, essayer de trouver sa place dans ce nouveau Monde si infect soit-il c'est protéger. C'est vraiment s'asseoir sur l'histoire et ne pas voir la logique mortifère de la marche du Monde. Rien ne sera protégé, de recul en recul nous irons, désormais assez rapidement, aux désordres nationaux, internationaux et environnementaux. Résister, accepter une crise forte c'est se garder la seule porte de sortie encore envisageable.
On peut prendre pour exemple un mixte entre menacer explicitement et préparer en secret certains changements radicaux à l'exemple de la Bolivie qui a bénéficié d'un travail de préparation souterrain avec des aides juridiques norvégiennes.
Si on a tant fait de mousse sur le contournement de la France après le vote non au référendum de 2005, ce n'est pas parceque la France était désormais mis à la marge mais au contraire parcequ'elle était au centre de toutes les réflexions. Même par rejet, c'est elle qui avait la main si des politiques clairvoyants et courageux avaient été aux commandes. La force des uns ne vient que de la faiblesse des autres.
Refuser le racket et exploser le consensus est encore possible tant que nous occupons cette place au sein du commerce.

Dernier point et non des moindres, s'attaquer au mur de l'argent lorsqu'il s'est à ce point radicalisé c'est accepter des actions globales. Nous avons affaire à un groupe qui a consience de soi, d'être une classe et hyper politisé. En clair, s'attaquer à l'un c'est s'attaquer à un réseau. Il ne faut pas sous estimer la puissance et la cohésion d'un tel groupe. Il faut cibler le groupe d'un coup, lui retirer ce qui fait sa force c'est à dire son réseau, ses relais, sa capacité à rebondir, son capital global et finalement sa capacité à être un modèle comme l'explique Hervé Kempf.

 

Petit rajout : l'alliance ici proposée n'est valable que dans le contexte actuel ; si l'évolution continue et que l'issue en soit, ce qui est le plus probable, la sortie de la démocratie ou un nationalisme agressif ET libéral-extrêmiste, et probablement la combinaison des deux... alors les cartes seront rebattues. Ce qui se joue actuellement dans les profondeurs de notre société c'est un combat entre ce nationalisme spécifique décrit au dessus et un patriotisme internationaliste et social. Les soit disants libéraux n'accepteront pas éternellement une démocratie censitaire de fait (par les abstentions) bien arrangeante mais risquée comme le montre 2002 et 2005 ; ils n'auront d'autre choix que la violence et la sortie effective de la démocratie pour se maintenir au pouvoir, y compris par fusion ou alliance objective avec le nationalisme déjà cité.

L'alliance proposée en haut est en capacité de couper l'herbe sous le pied d'une telle évolution, elle est encore possible et productive mais c'est une course de vitesse.

Publié dans politique

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