Une République de la modération

Publié le par stéphane.grim

 

Une République de la modération

 

 

 

I Cynique, aveugle et fataliste tombent à l'eau... reste qui ?

 

a) L'homme et la démesure :

La crise à laquelle nous assistons est révélatrice de ce qui devrait être mis sur la table par sa profondeur, son implication géographique et la vitesse de sa propagation.

En arrière plan de ce chaos, qui ne devrait pas surprendre, on trouve l'hybris... c'est à dire la démesure.

Pour lutter contre cette démesure, les codes de bonne conduite ou les appels à la morale démontrent une chose simple : ceux qui soutiennent de telles âneries sont cyniques, aveugles ou fatalistes ou un mixe de cela, et, pour élargir l'idée, ils sont de toutes façon enfermés en eux mêmes.

Pour exemple l'erreur serait de croire qu'un cynique voit loin. Ainsi de Daniel Bouton, ex président du conseil d'administration de la Société Générale, « La Banque » aux cerveaux cosmiques mais sans doute trop percutés par des astéroides... il faut tout de même rappeler qu'après l'éclatement de la bulle Internet en 2002, ce comique troupier était le rapporteur du MEDEF afin de fournir des propositions solides comme l'Antique ; or que prônait ce magnifique rapport ? Que la seule bonne solution c'était l'autorégulation. Mais oui... ces gens pensent loin, ont conscience de ce qui se passe, savent se maîtriser et se dresser même seuls s'ils le croient juste... on y croit dur... et surtout on croit rêver!

 

b) L'Homme et le choix de la vie :

Fut un temps où ces débordements qui enferment l'Homme avaient pour conséquence des destructions de masses notamment d'êtres humains sans pour autant remettre en cause la survie d'une bonne partie des espèces ; penser court et fermé était pitoyable , très aléatoire en termes de gain mais sur quelques générations sans effets de seuil. Désormais penser de même est toujours aussi stupide en terme d'aléatoire et médiocre humainement mais c'est surtout strictement suicidaire car le crise n'est pas qu'économique, démographique, sanitaire, culturelle, morale et ethique, politique et donc institutionnelle... elle est environnementale et en ce sens non seulement on tend clairement à sceller le destin de sa progéniture mais pire, la vitesse de destruction a le potentiel pour éliminer les acteurs présents de cette orientation générale (la Planète elle ne dispaîtrait pas). Or il serait très irréaliste de croire que l'homme a les capacités pour maîtriser toutes les dérives, trouver sans cesse des solutions aux problèmes qu'ils posent lui même, et surtout... et surtout, est-ce franchement sérieux de croire que l'humain choisira toujours la voie la plus salvatrice, celle qui lui permettra d'éviter le mur... individuellement ou collectivement, à l'évidence, nos expériences de vie et l'histoire nous répondent : non !

 

c) L'Homme et le choix de l'action :

De même les tensions terribles dans lesquelles nous nous enfonçons à toutes les échelles géographiques (locales, européennes ou mondiales) montrent combien une voie posée comme réformiste sur le plan du contenu est un non sens face au rouleau compresseur que nous subissons. Nul complot, nul conspiration n'est nécessaire pour ligoter les uns, aveugler les autres ou pousser à l'abject les derniers ; ceux qui tiennent le volant donnent surtout la sensation d'avoir peur de l'excommunication au moindre désir de se désolidariser, de penser qu'il est inutile de se battre ou d'avoir intériorisé une grille d'analyse et de ne même plus en être conscients... et de là, la logique des forces en présence transforme un réformisme en accompagnement vers le chaos... au mieux, parcequ'au pire on peut se taire et écouter la rue, c'est éloquent. Ou comment crier à la bête féroce en lui ouvrant la cage!

Et pour parler brut, voici : compte tenu de l'état du Monde, de l'Europe, de la France, un parti n'est réformiste que s'il est révolutionnaire dans son esprit, ses choix, son contenu ; il n'est révolutionnaire que s'il est réformiste dans sa prise du pouvoir, sa méthode, sa forme.

 

 

II Donner du sens :

 

a) Assumer la faiblesse humaine :

Sans insulter Jaurès qui « voulait » avoir confiance dans l'être humain, il serait plus constructif de voir l'homme comme Clémenceau : ne pas lui faire trop confiance. Bien malin celui qui saurait dire si l'Homme est bon ou mauvais en soi, mais sa potentialité à la faiblesse intérieure est une donnée de l'Histoire. Libérer l'homme c'est lui permettre de ne pas s'enchaîner dans ses comportements pathologiques. Pour maîtriser l'homme il ne suffit pas d'espérer. C'est là que l'organisation d'une société doit permettre de maîtriser les pulsions de mort de l'homme, celles qui le poussent à la démesure, celles qui le poussent à chercher la jouissance et la reconnaissance sans aucune mesure.

 

b) Proposer une bifurcation et un prolongement républicain :

Modérer l'homme c'est comme renverser la table et pourtant c'est le prolongement de l'idée républicaine, indispensable ; et là par contre nous pouvons croiser à nouveau la pensée de Jaurès, celle qui croit dans la capacité et l'intérêt de l'Homme à agir. Il ne s'agit pas de proposer un homme idéal justement et tant mieux vu ce que cette idée a produit d'horrible au XXème siècle . Il ne s'agit pas non plus de croire qu'on peut atteindre un idéal de société dont on n'a pas la moindre idée d'ailleurs. Non. Le but c'est de proposer ce que justement les populations ne semblent plus voir depuis longtemps : une direction différente, une bifurcation et non un retour général en arrière ou un but. Un destin collectif est comme un destin individuel, c'est une évolution continue.

 

c) Regarder en face une crise globale sans précédent :

A celui qui viendra vous dire que cela ne tient pas debout il est utile de lui demander de répondre à la question suivante : notre planète est elle plus ou moins fragilisée aujourd'hui qu'il y a 500 ou 1000 ans ? Le destin collectif de l'espère humaine est-il plus sûr aujourd'hui qu'il y a 100 ans ? Répondre que notre monde actuel est moins fragile ou pas plus qu'avant c'est mettre en avant une portion d'individus gagnants comme une belle vitrine des galeries Lafayette, les croire déconnectés du monde terrestre et nier que nous sommes entrés dans des crises croisées d'une ampleur qui n'a aucun précédent dans les mémoires orales ou écrites (pour faire simple voici le lien d'un texte précédent sur ce point précis dont le titre est « sortir du syphon » : http://clavaboudchuc.over-blog.com/5-index.html ).

Alors que faire ? Le but de ce qui suit n'a aucune visée programmatique mais juste de proposer au moins quelques directions structurantes centrées sur une limitation de la démesure :

 

 

III Un bon coup de fourchette :

 

a) Désarmer le modèle :

A l'instar de ce que défend Hervé Kempf, pour changer il faut éradiquer le modèle. Or ce modèle est donné, comme le LA en musique, par l'élite médiatique, politique, économique, technicienne et culturelle (et soutenue et revendiquée par une forte partie d'entre eux). Il ne s'agit pas d'éliminer ces gens mais de rendre leur modèle de vie impossible. Non qu'ils aient un gros impact écologique direct vu le petit nombre d'acteurs qu'ils représentent mais c'est eux que la population imite.

Bien sûr ni l'élite ni le peuple ne sont à glorifier. Ainsi de nombreuses personnes sont d'une grande qualité humaine quelque soit leur position sociale et la barbarie vient aussi bien de l'un que de l'autre dans l'Histoire. Mais un modèle est porté par les élites et la population ne fait que tenter d'y coller, c'est pourquoi frapper la tête c'est toucher le corps.

Premier point donc : limiter l'inégalité. Pour cela il faut s'attaquer à la racine et non de manière périphérique, en clair donner un pendant au revenu minimum, créer un paquet revenu, salaire et patrimoine maximum ou plus exactement créer un écart maximum entre le plafond et le plancher. Pour cela, comme le disait Léon Blum, la fiscalité est une clef essentielle. Tout le monde doit participer, faiblement pour les plus faibles, et drastiquement pour les forts. En clair nous devons aller vers une fourchette, mais surtout pas un égalitarisme dangereux ; encore une fois l'homme est faible et les comportements divers, notamment pathologiques par rapport à la possession, doivent être contenus tout en maintenant une relative soupape tant qu'ils ne deviennent pas dangereux pour leur environnement. Une fourchette, à définir, permettrait ainsi de laisser une respiration nécessaire à une société. On aurait d'ailleurs un intérêt fort à y inclure le logement car limiter la possession multiple c'est aussi libérer notre territoire d'une emprise humaine inutile et libérer de l'habitat pour des populations qui en ont besoin.

Il serait tout de même utile de rappeler que le but d'une collectivité c'est de trouver en commun les moyens de vivre mieux. Si le projet devient celui de Thatcher, en clair « la société n'existe pas il n'y a que des individus », alors nul besoin de se mettre en société et chacun pour soi, sans foi ni loi. C'est d'ailleurs cette décomposition du lien, décomposition sociale et éducative dont le résultat direct est la violence, contre soi ou contre les autres.

Quant à prétendre qu'un tel mécanisme est irréalisable compte tenus de nos voisins, il est intéressant de rappeler que ces réflexions ont lieu ailleurs ainsi aux Pays Bas, que le salaire minimum n'est pas présent partout (hélas) sans que cela soit l'apocalypse et que cela induit une remise à plat complète de la politique européennes et des alliances. Et après tout l'imposition sur le revenu mis en place après la Première Guerre Mondiale sembla longtemps incongrue.

Mais la fuite de certaines élites ? Puisque cela concernerait tendantiellement les moins vertueux et compte tenu du désordre profond qu'ils provoquent déjà, leur départ ne serait pas forcément une mauvaise chose, j'y reviendrais plus loin. Mais encore les pertes probables en termes de recherche ? Hé bien elles rentrent dans le cadre d'une question autrement profonde ; un projet de société qui croit que la recherche compétitive infinie et la formation continuelle des individus sont la seule porte de sortie, que les autres pays sont incapables de le dépasser dans une telle logique, qui accepte de laisser dans le fossé et la compassion une part croissante d'individus incapables de s'adapter à une technicisation sans fin, qui ne porte comme message aux autres peuples que la guerre économique et la compétition sans bornes, est-ce un un projet humain, viable et tout simplement intelligent ? Cela ne veut donc pas dire arrêter la recherche mais refuser de passer par perte et profit des pans entiers de notre société, des prises de risque disproportionnées et des invariants anthropologiques, tout cela pour une fuite en avant désespérée.

 

b) Refuser une substitution perverse :

Autre élément complémentaire, mettre un terme à cette perversion économique qui consiste à faire payer les salaires par la collectivité sous forme d'aides diverses, cela creuse les caisses et c'est nier que le salaire c'est le salaire net + les cotisations salariales + celles patronales, les trois. Ce fut un choix pensé qui consistait à créer un pot commun pour payer le quotidien, les protections présentes et tout au long de la vie du salarié. Il s'agit non de faire payer plus les petites entreprises mais celles qui se soustraient par tous les moyens à la participation collective. Faire baisser la colère de ceux qui travaillent envers ceux qui bénéficient d'aides cela passe par dénoncer ce travers, le discours abject de ceux qui pillent les caisses et se présentent en héros sociaux en distribuant royalement des aides à ceux qu'ils appauvrissent. Nous n'avons pas à nous substituer au patronat pour payer les salaires légitimes des travailleurs, cela pousse à des comportements pervers de la part de tous les acteurs : décideurs politiques, économiques et travailleurs. Le dogmatisme qui vise à ne créer q'une nation de salariés contrairement à ce qui est prétendu, à créer une société du tout privé, l'Etat lui même étant privatisé, un système fondé sur la privatisation de tout ce qui peut produire un gain financier, ne gardant de public que ce qui peut être désigné au public comme non rentable, présenté comme une gabgie et une assistance nuisible, afin, au final, de le faire disparaître, ce dogmatisme là est une véritable déviance, un extrêmisme mortel.

 

c) Combattre la mafiaisation généralisée :

Les questions de corruption et de fuite d'une « élite » ne sont pas à éviter. Pour y répondre et voir si la première proposition est incohérente voire dangereuse car créatrice de corruption, il faut regarder en face la situation dans laquelle nous sommes. Y a t'il corruption ? Clairement oui. De quelle ampleur ? On peut consulter le site de Transparence Internationale mais aussi divers travaux ou témoignages qui vont de Denis Robert à Eva Joly en passant par le rapport effectué il y a quelques années par Peillon et Montebourg. Il ne s'agit plus d'une simple corruption importante, non. Quand la moitié de la finance internationale (c'est une estimation publique) disparaît dans les tuyaux obscurs en se mêlant à l'argent occulte, où des prises de participation deviennent si complexes et mouvantes qu'on ne discerne plus l'argent sale de l'argent de l'économie légale alors il s'agit d'une véritable mafiaisation de l'économie à l'échelle mondiale. Le Royaume Uni et le Luxembourg sont sur ce point de véritables zones noires de la finance internationale. Ce propos je ne suis pas le seul, loin de là, à le tenir et aucune mesure n'a été prise, surtout pas concernant les vastes lessiveuses que sont les chambres de compensation. Conclusion ? La corruption atteind de tels stades que poser une fourchette ne risque pas d'accentuer une économie déjà corrompue de manière massive. Quant à la fuite des soit disants « meilleurs », on voit bien actuellement les valeurs anticiviques et les résultats de ces prodiges. Leur médiocrité humaine est telle que se séparer d'eux n'a rien d'une catastrophe et que par ailleurs des personnes aux compétences techniques équivalentes sont nombreuses en dessous. Il me paraît même particulièrement utile de réactualiser une pratique antique, une forme d'ostracisme républicain, c'est à dire que des personnes physiques soustrayant leurs biens à la collectivité pour éviter de participer n'ont plus rien à faire dans notre collectivité. Nul besoin de leur interdire le passage ou le séjour sur le territoire, il me semble simplement souhaitable et civique d'exclure ces personnes de la citoyenneté et nationalité française et de récupérer tout ou partie de leurs biens présents sur notre territoire puisqu'ils ont vécu sur le dos de leurs concitoyens. Les exemples sont nombreux dont l'un des plus connu est celui de l'idole des jeunes.

Dans le même sens il est essentiel de rétablir dans les esprits la coresponsabilité dans une situation et une action entre le système, l'individu par ses choix et la part réduite de déterminisme. Ceci pour mettre fin notamment au discours extrêmiste visant à rendre les individus sans grade responsables de tout et irresponsables ceux qui sont aux manettes ; ainsi les dirigeants d'organismes liés à la finance ou aux assurances comme divers autres décideurs ne doivent plus pouvoir se dissimuler derrière la personne morale de l'entreprise et échapper à des commissions d'enquête, des sanctions juridiques et des peines lourdes. La revalorisation nette du pôle financier dans le domaine de la justice et une législation plus stricte sur ce point (en sens inverse de l'assouplissement qu'a promu ce gouvernement, politique dénoncée par Transparence Internationale) sont des actes prioritaires. Ces personnes provoquent des désordres majeurs et ne devraient pas pouvoir passer au travers de la justice.

Il serait même essentiel de pousser sur le plan juridique les notions d'accumulation délictueuse et de crime économique ; sur ce dernier point on aurait même tout intéret à accompagner ce qui est proposé à Cochabamba, un tribunal international des crimes contre l'environnement, et aller vers un tribunal international des crimes économiques.

 

 

IV Manger le plat, les couverts et la table :

 

a) Dépasser l'anthropocentrisme :

Deuxième axe de limitation essentiel, le rapport à l'exploitation sans borne. On le repère dans l'exploitation de notre environnement, dans l'idée de productivisme, dans l'idée indéfinie de croissance. N'importe qui ayant une éducation à la critique un temps soit peu correcte peut constater que les messages en continu valorisent l'idée d'achat, renouvelé, accumulé et sans autre fondement que de posséder par mimétisme, volonté de distinction et vide existentiel ; on en revient là à l'idée de modèle définie plus haut. L'utilisation de matériaux fossiles, la destruction de pans entiers du vivant couplée à l'idée de croissance sont en contradiction directe avec la limitation terrestre. Ne pas comprendre ça est lié à une absence de prise de conscience de l'interaction et même de la continuité entre notre corps et ce qui l'entoure. Nous ne sommes qu'un élément du milieu et le milieu est notre prolongement. En clair nous avons connu des stades de prises de conscience collectives par étapes, la prise de conscience que les autres sont aussi des hommes et non des non-hommes, puis la prise de conscience qu'ils devraient être traités de manière égale (évidemment ces prises de conscience sont partielles et discontinues dans le temps). Prendre conscience que ce qui nous entoure c'est un peu nous aussi, qu'on ne peut nullement s'en croire séparé, est une révolution mentale mais elle est vitale. Il est même paradoxal de constater une probable régression du respect de la vie ; le rapport avec les animaux est un excellent exemple de cette objétisation du monde.

 

b) Dépasser la croissance :

De là, sortir de l'idée d'une croissance indéfinie est une nécessité. Le concept d'une économie fondée sur une vie plus harmonieuse avec nous même, nos contemporains et notre environnement (on peut l'appeler économie humaine comme J. Généreux ou du vivant ou écologique...) est plus constructif. Il sort de l'idée de « plus » pour aller vers le « mieux », ce qui est tout de même moins enfantin. Le concept de croissance devient alors un point subalterne puisqu'il ne s'applique qu'à certains champs et non la totalité de nos activités.

 

c) Assumer l'affrontement :

Seule une action puissante peut transformer un mode de vie en cassant un modèle. Ceci implique de contrer frontalement la logique des grands acteurs économique donc les liens entre ces milieux et ceux politiques ou médiatiques et d'expertise. On voit encore une fois l'imbrication avec le premier axe. Si le modèle de croissance, d'accumulation et de consommation stérile est si fort c'est qu'il est véhiculé par les milieux dominants ; briser leur capacité à vivre ainsi est donc prioritaire mais on ne peut se limiter à une classe d'individus, il s'agit aussi d'un rapport de force avec des structures. Une procédure visant à renationaliser temporairement ou définitivement certains secteurs selon les cas mais aussi à casser les concentrations directes ou par externalisations est essentielle. L'ensemble des PME, tissu réel de notre organisation territoriale est étranglé par ces donneurs d'ordres. S'attaquer à des groupes dits « français » mais en fait déconnectés de toute vision collective et à fortiori citoyenne, c'est combiner la lutte contre la mafiaisation, l'inégalitarisme et l'autodestruction inscrits dans ce modèle économique. L'eau, l'énergie, la finance, les assurances ou la distribution sont parmis les plus importants à faire rentrer par la loi dans une logique de développement collectif. Ainsi pourquoi ne pas investir massivement dans une politique privilégiant l'autonomie en terme de traitement des eaux (retour général dans le giron public et phytoépuration par exemple) ou sur le plan énergétique (bouquet d'énergie durable, maison positive ou baisse drastique de la consommation) accompagné d'un service publique de contrôle et de maintenance plutôt que de soutenir une logique générale de réseau et des groupes oligopolistiques, dangereux et prédateurs nationalement et internationalement ?

Une action de découplement entre les médias, les milieux économiques et politiques est de même prioritaire et ne serait qu'un retour au programme du CNR. Par voie de conséquence les milieux de la communication ne doivent pas échapper à une réduction là aussi drastique de leur capacité de nuisance et donc de visibilité.

Autre enjeu de fond, retirer toute capacité de responsabilité à une cohorte de personnes ; en effet ce n'est pas un complot qui permet de donner une certaine cohérence aux différents décideurs c'est tout simplement qu'ils sont choisis justement pour leur proximité intellectuelle. Sorte de cooptation. Il n'est donc tout simplement pas possible d'obtenir de résultats sans assumer de passer progressivement au tamis des responsables divers afin de recréer un autre état d'esprit. Pour exemples, la perméabilité entre milieux politiques et économiques permet à des personnes de faire des va et vient entre ministères et grandes entreprises ; la catastrophe agricole actuelle fut portée par des conseillers agricoles ; le détachement républicain profond dans l'enseignement est guidé par des inspecteurs, des formateurs et bientôt de futurs chefs d'établissement issus du monde de l'entreprise (sans compter de nombreux enseignants venus dans ce milieu dépourvus d'une vision d'éducation populaire volontaire et se faisant les vecteurs des idées critiquées ici ; rien d'étonnant à voir une partie du monde enseignant voter Sarkozy désormais). C'est donc toute la fameuse démarche « manageriale » qui ne doit plus permettre de pousser aux pires comportements en sélectionnant les plus faibles spirituellement.

 

 

V Les vents mauvais des libertés :

 

a) L'antilibéralisme libéral :

Troisième axe, aussi important que les précédents, la limitation portée à l'idée de liberté. A lire ces mots on crie à l'horreur et pourtant il faut voir ce que porte cette notion lorsqu'elle est dévoyée à ce point. Son extension sans limite produit très exactement le contraire de l'effet voulu, au lieu d'une émancipation de l'individu et d'un mieux civilisationnel on a droit à un antilibéralisme radical. Car ce qu'on nomme à tort ultralibéralisme n'est rien d'autre qu'un extrêmisme équivalent à ceux que portait les Républiques socialistes soviétiques ; comme l'explique très simplement Jean François Kahn, nous sommes passés d'une pensée à visée totalitaire de l'Etat à une pensée totalitaire du privé et de l'internationalisation (nommé "globalitaire" parfois). Tout doit être introduit dans la sphère marchande, dans la sphère du libre échange, et l'utilisation de techniques de plus en plus poussées vise à faire rentrer nos moindres pensées et gestes dans le marchandisation mondiale. Segmenter à l'extrême pour que rien de ce qui nous constitue ne puisse échapper à une utilisation mercantile et une jouissance sans frein, voilà le fond philosophique. C'est ce danger porté par une conception infinie de la liberté qu' Alain Finfielkraut a tenté d'expliquer sur France Inter le 26 juin 2009 au matin (visiblement le journaliste n'a guère compris), ou, dit autrement, quand les Lumières deviennent démesure et s'autodétruisent.

 

b) La phobie des règles :

Ainsi la libéralisation des capitaux fut-elle une catastrophe, de même que celle de secteurs les uns après les autres dans le cadre des fameux Rounds de l'OMC. Exemple : en 2005 la conférence interministérielle de l'OMC à Hong Kong aboutit à un accord sur la suppression d'ici à 2013 des subventions aux exportations agricoles. Le premier réflexe est de dire comme tout bon défenseur de ce texte que cela permettra de lutter contre le dumping des pays riches qui après avoir poussés les pays des Suds à tout concentrer sur l'exportation et donc l'urbanisation à outrance, écrasent les productions locales survivantes et conduisent des populations entières à la famine comme en 2008. Donc on se dit chic ils ont enfin compris... que non ! Il faut être très angelot pour imaginer que lorsqu'on libéralise tout le monde a les même chances. Comme disait Clémenceau c'est comme de faire faire une course en sac à un cul de jatte. C'est exactement la même raison qui a poussé l'Angleterre a défendre bec et ongle le libre échange à partir de la moitié du XIX ème siècle, elle avait fait sa révolution industrielle avant tout le monde et pouvait sans risque dominer tous les autres en les exhortant à ouvrir leurs frontières. Ainsi l'industrie des textiles en Inde fut-elle laminée comme l'explique Paul Bairoch. Le libre échange entre des forces économiques assymétriques c'est forcément à terme le monopole ou au mieux l'oligopole, c'est à dire le contraire exacte de ce qu'on vous prétend. Les petits commercants en savent quelque chose. D'ailleurs si nous allons écraser (temporairement) beaucoup d'agriculteurs mondialement cela se fera aussi au dépend d'une bonne partie de la peau de chagrin agricole qu'il nous reste ici. Pour nos crânes d'oeuf la France agricole est un non sens, dans la spécialisation mondiale elle doit disparaître. Le marché agricole, comme le reste, est pensé mondialement en zones spécialisées ou exclues de productions, et ce n'est pas contradictoire pour des mules savantes d'accéder aux demandes de pays des Suds en interdisant les subventions puisque ce mêmes mules ont tété au lait internationaliste du grand marché mondial à l'anglosaxone. Les idées de souveraineté alimentaire ou d'indentité, leur sont aussi étrangères que l'idée d'égalité.

 

c) Où trouver la liberté ?

De même, libérer l'individu de toute contrainte collective (ce que défend encore une fois le deni de société exprimé avec clarté par le Dame de fer) c'est le conduire tout droit à son asservissement, en général volontaire. L'excès de liberté individuelle est amené à produire la réplique exacte de l'excès de collectivisme. La liberté n'existe qu'au sein d'une marge de contrainte acceptée et débattue collectivement, qu'au travers du relationnel. C'est en somme retrouver ce que peut, par exemple, porter l'idée républicaine si spécifique ; une unité voulue par ses citoyens et non issue du sang ou de la loi du marché, une histoire partagée, un chemin collectif ou chaque citoyen peut s'épanouir parce que le collectif est là pour l'aider et le modérer sans l'écraser. Prôner l'indépendance et l'autonomie c'est ne pas comprendre que c'est antinomique avec ce qu'est l'être humain, par nature relationnel et culturel. Ou, pour dire les choses autrement, c'est la diversité et la multiplicité des liens qui libèrent et c'est l'équilibre constant entre « être soi » et être avec les autres » qui permet de grandir.

 

d) Proposer une protection à la bonne échelle :

Se battre contre un libre échange destructeur de libertés, contre un zonage des productions au niveau mondiale imbécile et fragilisant ce n'est pas prôner la fin des échanges mais les réduire fortement. Il s'agit de produire des ensembles cohérents où les consommateurs ne sont pas nuisibles aux producteurs, c'est à dire à eux mêmes. On peut évidemment penser à l'Europe mais laquelle et croit-on possible de faire fonctionner des masses démographiques aussi massives et anthropologiquement opposés que le Royaume Uni, l'Allemagne et la France sans l'assentiment des populations et sous la coupe idéologique du modèle anglosaxon ou d'une Allemagne incapable (à ce jour) de sortir de ses traumatismes historiques ? Des engagements sans sortie possible, imposant un modèle économique, un modèle de société, non ratifiés par les peuples par voie référendaire, que cela soit dans le cadre de L'Union Européenne ou de l'OMC, me paraissent en opposition frontale avec l'idée de démocratie et de simple bon sens pour espérer garder la paix sociale ; sortir de cette contradiction me semble incontournable, croire qu'on peut l'éviter c'est jouer à la roulette russe sans changer de pistolet et sans s'arrêter, c'est fatal. Le balancier est déjà parti dans l'autre sens et cela ne date pas de la dernière crise financière, combien de temps faudra-t'il pour que cela émerge, aucune idée mais la seule question c'est quand et comment.

Oui l'échelle européenne est une des solutions possibles, bonne pour peser et coopérer avec les ensembles qui se mettent en place et compte tenu de l'improbabilité de réformer l'organisation mondialement! Oui c'est un beau projet collectif! Oui ce qui réunie exclu s'il n'est pas tempéré par l'éducation au plaisir de l'altérité! Alors ? Alors il est impératif de revisiter cette phrase de Jaurès : « un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d'internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l'international, beaucoup de patriotisme y ramène ». Vanter l'internationalisme sans aimer ce qu'on est c'est se détruire. La honte de soi, la cassure du lien avec son histoire est dangereuse. Vanter l'Europe future et forcer les voiles au prix d'une, deux ou trois générations sans tenir compte de l'Europe réelle, c'est à dire cette mosaïque de cultures vécues et ressenties c'est tuer l'idée commune ou au mieux poser un vulgaire paillis culturel sans racines, source de barbarisme et amplificateur d'un vide existentiel.

Ainsi pourquoi ne jamais avoir proposé une Union non seulement laïque mais dont le projet serait bâti sur une volonté d'être ensemble au lieu de spéculer sur des racines communes en vérité sources de tensions ? C'est notre histoire que nous défendrions là. Sous peine d'implosion ou d'explosions sporadiques incontrôlables la voie la plus sage serait là aussi de retourner la table et d'imposer une remise à plat de la totalité des traités depuis 1957 pour travailler par cercles concentriques. L'idée d'une Union en extension sans fin est en soi une démesure ; l'idée qu'on peut créer un peuple par dissolution des cultures déjà présentes en est une autre ; l'idée qu'on peut faire le bien des peuples sans leur demander leur avis et même en s'asseyant sur le choix que certains ont pu faire démocratiquement en est une troisième. L'idée que la politique suivie, le compromis continuel et les alliances actuelles soient le seul cadre possible et constructif (« There's no alternative ») est une pure folie génératrice de profonds désordres. Ainsi, dans le sillon du Mouvement d'Education Populaire, il me semble que si aucune alliance intra européenne n'était possible pour sortir du carcan il serait très dangereux d'exclure une réorientation de la diplomatie et des alliances sous peine de voir la chose se faire de toute façon mais dans les pires conditions.

Enfin à l'unisson de Jacques Sapir dans un texte de novembe 2009 ( http://horizon.typepad.fr/accueil/2009/10/jacques-sapir-dmocrate-donc-souverainiste.html ), ill me semble qu'on ne devrait pas plus exclure totalement un protectionnisme sur le plan national, ne serait-ce que parce que cela entrainerait des réactions en Europe et que de là nous pourrions alors proposer un protectionnisme commun à nouveau ; sur ce raisonnement je vous ramène à cet article.

 

e) Proposer un protectionnisme altruiste :

Reste que penser à nous est une chose, penser aux autres en est une autre et elle est essentielle pour notre propre équilibre (sans forcément vouloir penser pour eux). Ainsi défendre un protectionnisme altruiste comme le dit Bernard Cassen me paraît non seulement juste mais sage ; en ce sens l'idée de conquête de marchés est contraire à une organisation pacifique du Monde. Défendre un protectionnisme pour les autres et notamment pour l'Afrique, défendre la capacité pour les autres à construire leur propre marché intérieur, c'est une voie difficile mais la seule qui ne nous mène pas à la conflagration. L'idée, sans doute honnête qui consistait à mêler les pays par l'économique, les lier par les commerce pour éviter la guerre était juste... fausse, enfantine et issue à l'origine d'individus ayant vécu la guerre. Bien au contraire cette pelote de laine produit l'exact contraire, haine, ressentiment, identitarisme et probablement au bout du chemin le déchirement par des conflits meurtriers ; je ne suis pas le premier à craindre le pire à cause de cette idée. Créer un ensemble sans borne c'est créer les conditions de sa propre destruction car cela le fragilise d'autant plus. Ainsi la diversité de la vie terrestre est sa meilleure protection. Je ne prétends pas qu'il faut cloisonner tout mais qu'un ensemble unique est une structure fragile car rien d'extérieur ne peut le sauver et aucune échappatoire n'existent pour ceux qui sont dedans.

L'idée de rééquilibrage international grâce au libre échange intégral, opposé à un égoisme national ou occidental, est une autre naïveté pousse au crime ; cette idée très courante fait litière des peuples concernés et, au lieu de penser un rééquilibrage dans un cadre protégé et négocié, impose une voie qui n'aura comme débouché que la soumission temporaire et le trio radicalisation, violence (par la rue ou le vote) répression avec pour débouché probable la sortie de la démocratie et l'égoisme national et occidental... totalement stupide donc puisque cela aboutit à l'exacte contraire désiré.

De la même manière l'idée soutenue par beaucoup d'un gouvernement mondial  me semblent profondément dangereuse. Non seulement cela pousserait dans le sens de ce que craint déjà Hubert Vedrine, un caserne mondiale, mais de plus ce serait fragile par sa taille même. Il me paraît beaucoup plus conforme à notre tradition républicaine et à une vision responsable de défendre une assemblée représentative mondiale qu'un gouvernement. Centraliser à ce point c'est tyranniser, appauvrir, fragiliser et c'est encore une fois aller trop vite et trop loin, c'est la démesure, poison de l'humanité.

 

f) Proposer des écorégions à plusieurs échelles :

Cependant si régionaliser est utile cela reste insuffisant. Relocaliser est le prolongement de ce protectionnisme responsable. Cela rejoint directement l'axe deux puisqu'on limite ainsi l'emprise sur l'environnement. Créer des écorégions emboitées à différentes échelles internationales et infranationales c'est créer la diversité et la richesse, signe non de pérénité assurée mais au moins de longue durée.

Cette relocalisation responsable vise autre chose. Nous vivons avec une norme des dominants où l'autre lointain, l'international est positivé (tant qu' il n'est pas intégré à la dimension travail), alors que le rejet social est visible, chacun s'enfermant dans son groupe social. Ainsi, au mieux la croissance et l'allongement des déplacements explose le tissu social puisqu'on part rejoindre son groupe de travail puis on revient sans fréquenter ceux qui dorment et mangent à proximité, au pire on finit par vivre dans une zone miroir de sa propre condition sociale, entre soi. Revenir à une plus grande hétérogénéité sociale par homogénéité spatiale est aussi un facteur essentiel de lien social, de paix sociale, de cohésion républicaine. En clair limiter l'aire de vie quotidienne c'est recréer une variété sociale. Ce qui implique donc de repenser totalement la relation au travail, les formes qu'il peut prendre et les secteurs développés, sa localisation ; cela implique aussi de repenser à l'intérêt d'urbaniser de manière infinie, à casser la relation spécifique des peuples à leur territoire (cassure source de troubles identitaires), à accroître sans frein les fragilités terribles d'une telle concentration et la découplage déshumanisant entre l'environnement vivant et nous.

 

g) Combattre deux dogmatismes, capitalisme et économie de marché :

D'ailleurs dans cette logique d'une critique radicale de l'ouvert à tout vent autant que du fermé à toute brise il ne faudrait pas oublier que cette démarche remet de fait en cause l'idée de capitalisme et d'économie de marché. Comment accepter que le capital décide pour la société ou l'entrepreneur vrai alors que sa seule logique est la rentabilité, y compris s'il s'agit d'un petit porteur... comment accepter que l'économie de marché soit l'alpha et l'omega, ce qui empêche toute capacité collective d'agir macroéconomiquement en cas de crise puisque le principe même de l'économie de marché c'est de laisser les acteurs libres guidés comme par enchantement par la main invisible, ce qui signifie pas de coordinateur donc que personne ne bouge. Sur ce point les travaux de Frederic Lordon sont d'une autre qualité argumentative que les histoires de Placide et Muzo racontée par Elie Cohen, pour en citer un, roi des montagnes russes amusant à suivre aux fils du temps.

La question du libre échange est passionnante car elle montre la démesure des uns et les frilosités des autres. Le libre échange, comme le protectionnisme lorsqu'ils ne sont pas limités, portent en eux leur propre destruction. Pourquoi ?

Une organisation collective a pour but de se protéger et donc de faire en sorte que chaque élement du groupe, en tout cas le plus possible, et le groupe en entier vivent mieux. Pour résumer le danger voici quelques uns des facteurs majeurs de déstructuration d'un groupe : lorsque celui ci est composé de trop de personnes, lorsque celui ci est trop éloigné des lieux de décisions essentielles, lorsque des tensions anthropoliques sont trop fortes pour faire vivre sous les mêmes rêgles ou absence de rêgles, lorsque l'absence de rêgles laissent libre cours à la faiblesse inhérente à l'être humain, lorsque les zones de production sont trop éloignées ou trop spécialisées, lorsque le système est clos et ne permet pas d'être sauvé par un apport externe ou une porte de sortie.

La combinaison de tous ces élements est très exactement au coeur même du concept de libre échange mondial (dès maintenant ou par paliers dans le temps) et de gouvernement mondial défendu par beaucoup. On peut parfaitement prendre le protectionnisme excessif et aboutir à la même conclusion de nuisance.

 

 

VI Mon amie la concurrence :

 

a) Dévaloriser la concurrence :

Quatrième axe, limiter ce qui constitue le soit disant moteur du développement : la concurrence. Bernard Marris explique ainsi dans son anti manuel d'économie combien cette notion est aux antipodes de l'enrichissement collectif, elle tend à freiner, parfois stériliser et produit justement moins de richesse que la coopération. La coopération scientifique est un contre exemple de progrès au modèle concurrentiel. Autre contre exemple fascinant, la nature qui met met en place des modèles associatifs et non, comme on le pense à tout bout de champ, surtout de la concurrence ; sur ce point les écrits de Jean Marie Pelt sont instructifs. Dévaloriser la concurrence pour la faire reculer sans vouloir l'éliminer, voilà le sens. Bien sûr elle a son utilité et notamment lorsqu'elle permet de canalyser la rivalité mimétique, lorsqu'elle reste sans conséquence sociale et ne vise qu'à susciter la reconnaissance, objectif remis en jeu aussitôt pour ne jamais chercher la posséder indéfiniment, ce qui serait pathogène pour l'individu et le groupe. Le lien avec l'axe précédent est fort.

 

b) Sortir de la neutralité :

Réaliser une telle mutation après des décennies de destruction du collectif est difficile et long, il passe là encore par l'éradication de la classe dominante en tant que modèle, l'élection d'un Sarkozy n'étant que l'illustration de la médiocrité d'une large partie de nos élites. Il passe aussi par des valeurs républicaines renouvelées et diffusées par tous les vecteurs possibles, une véritable éducation populaire assumée. Croire que le journalisme ou l'école notamment sont neutres et doivent le rester est tout de même un pieu et grand mensonge ou au mieux un déni complet de réalité. Lorsqu'on bombarde à longeur de journée les cerveaux massivement dans un sens, il ne faut pas être surpris que toutes les tentatives de remontée du courant soient vouées à l'échec. On peut toujours montrer tous les films qu'on veut pour combattre l'obésité, on aura l'obésité si les fondamentaux de ce qui est dans l'air ne sont pas changés ; on peut parler autant qu'on veut de justice, d'égalité ou de non violence en classe c'est comme « pisser dans un violon » dirait l'autre lorsque ce qui est hors l'école rentre dans l'école et dans toutes les têtes, élèves et équipes éducatives compris. La responsabilité individuelle a ses limites. Les vecteurs d'éducation populaire doivent assumer d'être porteur d'une vision du monde au lieu de se cacher derrière leurs trois plumes d'oie : pragmatisme, neutralité ou objectivité. Le but est donc de faire très exactement ce qui fut fait par les tenants de l'antilibéralisme libéral, faire sauter les verrous et notamment humains en plaçant là où il faut les personnes qu'il faut, mais... sans excès.

 

 

VII Sourire au spirituel :

 

a) Progressisme et conservatisme :

Dernier axe de taille, sans doute le plus indigeste pour beaucoup, modérer la propension de l'humain à se prendre pour Prométhé, à croire que le changement sans fin est la vérité révélée, que le progrès technique est le bonheur de l'humanité, que la technique au sens large est forcément libératrice et prodigieuse, que parler de spiritualité c'est se vautrer dans un obscurantisme religieux.

Sortir de ce racornicement de la pensée, la main du progrès tendue vers celle de la conservation, voilà ce qu'on pourrait oser proposer.

 

b) La fuite en avant :

Il est étonnant de voir l'environnement d'un nombre croissant d'hommes s'artificialiser, ce qui produit des disfonctionnements ou crises auxquels l'homme ne peut souvent plus répondre que par un autre développement technologique et ceci en cascade.

Internet est ainsi un exemple fabuleux de progrès à double fond. Vous parlez de relationnel ? Y avait il moins de relationnel avant où est ce que cet outil tente vainement de remplacer la disparition de relations de proximités tout en poussant au zapping et à l'enfermement ? Vous parlez d'enrichissement culturel, de recherche ? Venez voir comment recherchent adultes et enfants et le fonctionnement des moteurs de recherches, avec son bruit, sa valorisation du quantitatif et son extrême difficulté à cerner la validité d'une information. Vous parler de communauté planétaire, d'ouverture aux autres ? Voyez le clanisme! Vous parlez d'une révolution équivalente à l'imprimerie ? Oui mais qui nous fait passer d'une société de rétention d'information à une société où le trop plein d'information produit un résultat identique, mécanisme que notre actuel gouvernement sait utiliser à plein pour noyer tout capacité critique.

 

c) Sortir de l'illusion technicienne :

Lorsque tout devient technique, que par les recherches en sociopsychologie et neuropsychologie le relationnel devient une technique affinée à l'extrême et au service de la propagande ou de la petite manipulation quotidienne, est ce vraiment un mieux ?

Constater que le fossé entre développement technique et réflexion sur la vie (on peut parler de philosophie, de moral, d'éthique bref) se creuse de manière croissante et qu'il angoisse profondément les populations, déstructure les générations n'est pas suffisant. L'incapacité à penser ce que ce développement provoque comme bouleversement nécessite de ne plus poser comme forcément positif une avancée technique. Cela doit conduire par exemple à réintroduire les notions de lenteur, de rusticité et de sobriété comme valeurs positives ou les humanités plutôt que la seule adaptation au monde travail et au monde extérieur au sein de l'école, à ne pas viser comme actuellement la création de millions de techniciens déliés de toute valeur morale ou éthique, de toute réflexion sur leur société et la vie. Ce dernier point n'a rien de neuf et il est sujet à controverse dans l'histoire de l'enseignement en France depuis longtemps.

On peut ainsi appliquer cette logique au monde de la finance. L'utilisation de logiciels permettant des échanges à la milliseconde ou la création de produits de plus en plus sophistiqués sont des exemples typiques de ce qu'il convient d'abolir et d'interdire.

 

d) Renouer avec la spiritualité :

Lorsque nos vie d'occidentaux, où le vide religieux accompagne le vide spirituel pour ne laisser comme sens de la vie que la matière et donc l'avoir alors est-ce un modèle à universaliser ? Reparler de spiritualité ce ne serait d'ailleurs que rendre justice à la vision métaphysique de Jaurès.

Dans ce sens, redonner du temps pour vivre collectivement et avec soi même est un projet qui trouve son application concrète dans une reflexion sur le temps de travail. Les textes et propos de Larrouturou ou Généreux sont exemplaires sur ce point. Dans ce cadre là on peut d'ailleurs considérer que les institutions représentant la durée ont toute leur place dans une société ; qu'on les trouve ridicules ou réactionnaires elles n'en sont pas moins des freins parfois bien utiles face à une vitesse et une agitation appauvrissantes.

 

e) Renouer le fil de l'histoire :

Pour simplifier, le refus de l'oppression religieuse reste un combat émancipateur, d'autant plus dans un monde où nous ne sommes qu'un ilôt dans un océan réenchanté comme le dit Regis Debray ; mais la tyrannie matérialiste nous a réenchaîné. Pourquoi ne pas reprendre ce fil perdu par deux fois, renouer avec la pensée de Jaurès puis celle du Blum de l'après Guerre, celle qui voulait réintroduire le souffle de la spiritualité, et pourquoi ne pas pousser plus loin encore pour embrasser ce qui fonde la pensée écologique, la prise en compte de l'altérité de tout ce qui vit ou supporte la vie et donc de cette unité totale si chère à « notre Jean » ?

 

 

VIII Stratégies :

 

a) Se garder de deux côtés :

De ces grands coups de pinceaux on tire le portrait de deux adversaires. D'un côté un ensemble réduit prônant la violence de la méthode pour imposer une réponse sociale ou un extrêmisme misanthropique visant à faire diparaître l'espèce humaine.

En face de nous, l'adversaire est ce groupe que nous avons toute raison de qualifier lui aussi d'extrêmiste, qui combine un soit disant libéralisme en vérité violemment antilibéral, un inégalitarisme voulu ou accepté, une glorification ou acceptation de l'agressivité, de la concurrence et du « winner takes all » une glorification de la diversité au dépend de l'égalité, une valorisation de l'individu et de sa liberté au dépend de la collectivité, une défense à tout crin du progrès technique, du matéralisme et du productivisme, l'exploitation sans borne de l'environnement, bref un club de soutien à une vision qui se cantonne à « no limit ». La distinction fine au sein de cette mouvance tourne autour du rapport à l'autorité trop affichée et trop centralisée, au recours trop flagrant à la manipulation des foules, à un étalage vulgaire de sa puissance et une jouissance sans entrave du pouvoir. Et ne nous y trompons pas, durant la campagne présidentielle et de nouveau maintenant ce gouvernement et en particulier son président parle un langage à l'opposé de ses actes. Pour autant il est parfaitement imaginable de voir ces gens aller vers des discours et des actes de plus en plus nationaux tout en dérégulant, en accentuant les inégalités et la destructuration sociale, ou bien encore de voir l'Union Européeenne avoir une orientation écologique tout en dérégulant et en marchandisant tout à l'extrême. Sur ce point Daniel Cohn Bendit a raison de donner comme exemple de compatibilité la libération de la femme avec le capitalisme... mais il a tort de ne pas voir que ce système ne permettait pas à ce compromis de durer et que la régression est visible pour la femme, comme les écrits d'Elisabeth Badinter, Sylviane Agacinski, Gisèle Alimi ou Marcella Iacub l'expriment souvent. Ce gonflement dégonflement était en germe, il l'est aussi pour l'écologie.

 

b) Isoler, fragmenter, s'allier, affronter :

Pour refouler cette belle troupe il faut l'isoler dans notre pays, la fragmenter au niveau européen et chercher d'autres points d'appuis au niveau international. Entrer dans un rapport de force constructif mais dur.

Pour l'Europe, diverses interventions proposent (Todd, Sapir, Chevènement, Fabius...) parfois depuis longtemps une orientation par cercles plus restreints ou une négociation/bras de fer avec l'Allemagne afin de sortir d'un contexte mélant immobilisme et écrasement. Il s'agit ici comme au niveau mondial d'une course de vitesse ; après avoir progressivement armés depuis plus de trois décennies des mécanismes de conflagration internationales et internes aux Etats nous sommes désormais entrés dans une spirale où le spectre des convulsions géopolitiques et des massacres de masse réapparait. Ainsi la politique européenne suivie (c'est à dire celle des gouvernements nationaux et des non élus de l'institution européenne et de l'OMC) a pour résultat une tendance nette à l'autoritarisme mou et en réaction la montée rapide d'indentitarisme agressifs. Que de temps perdu à ne pas avoir écouté Mendès France lors de son discours le 18 janvier 1957!

Pour l'international il serait essentiel de remettre en cause l'occidentalisme et l'atlantisme actuel, de soutenir activement la remise en plac d'une monnaie commune et non unique, la remise en cause de la monnaie mondiale de référence (si elle ne s'écroule pas d'elle même avant) en s'appuyant par exemple sur les propositions de Mendès France à Bretton Woods et donc de chercher à tout prix des rééquilibrages ; c'est dans cette voie qu'on peut suivre Hubert Védrine mais aussi plus récemment Laurent Fabius à propos de la Chine ou Jean Luc Mélenchon depuis un certain temps à propos de l'Amérique Latine. En clair retrouver des points d'appuis au sein de l'Union Européenne si c'est possible et d'en trouver d'autres hors Union.

Ces points d'appuis multiples peuvent alors donner la possibilité de faire front à un mode pensée comme le montre malgré ses failles l'Amérique Latine.

 

c) Refonder ou converger dans la lutte :

Tout cela signifie s'unir en face, ce qui n'est pas fusionner mais travailler ensemble comme le fit le CNR, exemple le plus proche (hormis la composante écologique inexistante à l'époque) de ce qui peut nous éloigner -un peu- des lourds nuages noirs au dessus de nos têtes. Il s'agit donc d'âpres négociations et d'un programme révolutionnaire dans son contenu mais dans le respect républicain pour la prise de pouvoir.

Ce n'est donc pas un bras tendu vers le centre seul (déjà sanctionné à plusieurs reprises), ni dans les deux directions (centre et gauche) en même temps comme en Italie où le résultat fut la liquidation de la gauche puisque l'axe central de cet ensemble restait totalement soumis à la marche du monde.

L'union de la gauche a une chance si elle va dans le sens d'une révision globale de ses fondamentaux, si elle est capable de faire converger République, socialisme, spiritualité et écologie.

Un autre chemin est possible mais va cependant dans le même sens, celui acceptant l'altérité du partenaire et sa volonté de se situer en dehors d'une division en deux dimensions droite/gauche (sphères écologiste et républicaine notamment), une voie qui demanderait de regarder où sont les clivages les plus profonds et donc de poser des passerelles qui font mal et de couper des ponts qui empoisonnent. L'axe d'un tel regroupement doit être à la croisée des chemins entre ces différents courants d'idées ; cela signifie que le personnel politique qui a oeuvré de la manière la plus active et aux rouages essentiels dans une ligne d'acceptation à la marche du monde ne peut y être associé qu'à la condition suivante : avoir tranché dans le sens d'une bifurcation radicale avec tout ce qui a constitué le fond de sa politique. Avec ou sans débats sur les clivages essentiels, il n'y aura pas d'arrêt à la recomposition politique.

C'est une voie dure pour tout le monde et qui demandera des révisions au sens stricte « déchirantes »... Improbable, oui comme l'est la liste des premiers signataires de la pétition pour un salaire maximum...

 

Publié dans politique

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