Pierre après pierre

Publié le par stéphane.grim

 Réaction au Congrès du PS et à l'article de Marianne : "PS: la nuit des petits canifs" et Rue89 : "Faute de majorité et de projet, le PS cherche reine (ou roi)" le 16.11.2008
Dont acte, ce n'est pas Peillon /face à Hamon, situation qui aurait très probalement déjà donné une mauvaise fin, mais le pire scénario qui soit.

Pierre après pierre


Nous voilà dans le syphon... l'irrationnel tourne à plein. Pas de regroupement sur les marges alors que le centre s'est écroulé. Plus de motion A. Rien de surprenant. Elle était La motion, celle que les médias désignaient sur le trône par avance ; leur erreur n'a rien d'un hasard, elle est le fruit de ce qui détruit le PS de l'intérieur et de l'extérieur. Elle a des racines communes à ce qui produit cette sorte de folie pour le nouveau président américain.


I Les fruits étranges de l'irrationnel :


a) Le « je », l'affectif... :

Ce qui sort, pour l'instant, de ce congrès, me paraît plus être le symptôme de la désintégration politique du PS que cette question un peu simpliste des égos. Bien sûr la question du leader est importante mais pas comme on le croit je pense.

Qu'est ce qui différencie si fort la motion E des autres ? Elle pousse dans le vocabulaire mais aussi la démarche à une transformation profonde de la politique comme ce fut le cas dans la première partie du XX siècle. La volonté de faire un parti de masse tout en poussant à la personnification la plus forte possible, que ce soit par le vocabulaire (le « je » est toujours omniprésent dans les discours de Royal) ou ce qui ressort de la ligne... l'image et rien qu'elle. Elle rejoint fortement la cas Obama j'y reviendrai. Comme si la personne pouvait, par sa simple existence et sa prise du pouvoir, transformer notre monde. Je ne crois absolument pas que cette fonction taumaturgique soit utilisée par erreur, elle est pensée comme une stratégie de conquête du pouvoir. Et elle est identique en cela à la stratégie de Sarkozy. Pas de colonne vertébrale politique, pas de grille d'analyse exposée, mais un continuel déplacement qui s'appuie sur ce qu'attendent les personnes. On est donc à l'opposé de l'idée d'éducation populaire. Non qu'une soit disant élite puisse savoir pour les autres mais simplement qu'écouter ce n'est pas être forcément d'accord.

Cette absence de grille charpentée publiquement ne veut pas dire qu'elle est absente. Et c'est bien là le problème, car en vérité ce que dit la motion E est à peu de nuance près ce que dit la motion A et une partie de ceux de la motion D (pas tous j'y reviendrai aussi).

Ce que reprochent les autres à Royal, ce ne sont pas ses positions économiques et sociales, c'est ce qui oppose en fait en Europe les sociaux libéraux et libéraux à une tendance de plus en plus autocratique. Cette critique de l'autocratie que L. Fabius a fait à la tribune est parfaitement juste concernant Sarkozy, elle s'applique à d'autres à l'étranger comme Berlusconi mais aussi finalement à ce que construit Royal. L'idée de starification, de parti de supporters, de masse, le saut par dessus la représentativité est au coeur de ce qui effraie ces opposants socialistes à Royal. Comme s'ils voyaient bien que la tendance générale penche vers ça mais qu'ils y plongent malgré eux et qu'au moins on pourrait éviter de se salir en prônant aussi ouvertement une telle vision du combat politique. Mme Lebranchu l'a bien résumé en citant comme un des principaux clivages au congrés, ces deux visions du parti, un parti de supporters et un parti qui s'appuie sur ses représentants.

Bien sûr la femme elle même, certaines positions sexistes qu'elle tient constamment, ses références christiques énervent mais l'essentiel est dans le recours à la personnification, à la manipulation affective continuelle et à l'autocratie en germe.

Et on peut dire qu'il y a de quoi s'inquiéter quand on entend qu'il faudra « se ranger derrière » (Royal).


b)... et le caporal :

En effet, la question de discipline de parti est centrale mais ce qui a entrainé cette indiscipline c'est justement que le clivage est radical et non léger.

Or ce clivage il passe au sein de la motion D très largement. L'idée de rassembler pouvait paraître à certains constructive je n'en doute pas et stratégiquement valable, mais il n'empêche que nous avons un PS fragmenté :

  • Une partie qui suit Royal et s'engage dans une processus de dérive autocratique et globalement en accord avec l'UMP sur les choix économiques

  • Une partie qui freine des 4 fers sur cette dérive autocratique mais est sur les mêmes choix de gouvernement que Royal ainsi que les choix du PS Européen.

  • Une partie qui constitue le marais ne sachant plus à quel saint se vouer, cherchant l'unité car elle est plutôt persuadée que seul le PS à gauche peut arriver au pouvoir, quel qu'en soit les sacrifices programmatiques.

  • Une partie qui espère (et désespère bien souvent) faire rebasculer le PS vers la gauche et croit aussi que seul le PS peut, à gauche, arriver au pouvoir.

L'imbroglio est total car comment être d'accord sur des questions qui sont et seront incontournables dans un avenir proche. Quel regard par exemple peut on avoir sur l'action de Pascal Lamy au Secrétariat Général de l'OMC ? On a là un ancien très proche de Delors qui soutient ardemment depuis 1985 une vision du Monde cataclysmique. On peut comprendre la logique qui a soutenu la pensée de Rocard ou Delors : sacrifier quelques générations pour qu'enfin on bâtisse un monde meilleur, un monde moins guerrier en imbriquant les économies, un monde moins totalitaire en réduisant le périmètre de l'Etat. On peut comprendre mais pas accepter. D'autant plus que le résultat est quoi ? Ce que nous avons sous les yeux est le résultat de leurs choix. S'imbriquer dans les négociations de ce qui est devenu depuis l'AGCS était un choix. On nous dira « ha! mais monsieur! si on ne l'avait pas fait ça aurait été la catastrophe! ». Belle réplique mais on y est dans la catastrophe et nous avons une fenêtre très courte pour éviter une conjonction des crises financières, économiques, sociales, politiques, environnementales et donc internationales.
Le résultat de ce qui arrive à grand pas à coup de morts de masse est le produit exact de ce que portent le capitalisme, le libre échange général, la dérégulation intégrale : ce "néolibéralisme*"  c'est la négation de toute forme de libertés économiques ou politiques et la glorification des pulsions de mort. C'est inscrit dans ce système de pensée. Ce qui est le débouché naturel de cette pensée c'est OBLIGATOIREMENT la glorification de la démesure, le matérialisme sans limite, la chosification de tout sans limite, la possession sans limite, la concentration sans limite. C'est la mort. Ne pas comprendre ça c'est ne pas comprendre ce qui sous tend cette pensée.
Or nous avons en France une élite politique, médiatique, économique qui a été éduquée dans cette pensée. Sarkozy n'est que le porteur d'eau de cette idée du monde. Et nos socios mous ne sont que des pauvres diables qui ont cru faire le bien, y croient encore alors qu'ils creusent leur propre tombe.
Besson, le fameux traître, n'en est pas un de traître, il a simplement suivi comme Jouillet la pente naturelle de leur pensée. Aucune traîtrise là dedans. On pourrait tout aussi bien avoir d'autres membres du PS. Ce qui les retient c'est qu'ils croient sincèrement être très éloignés de l'UMP comme ils se sentent éloignés de Royal, avec en plus chez Sarkozy cette vulgarité effrenée que constitue son amour du faste et de l'auto célébration.
Mais leur proximité idéologique est flagrante avec une partie importante de l'UMP. Il est facile pour Besson de rappeler la sortie sidérante de Hollande devant les Gracques récemment «  je suis pour une politique de l'offre » ; ben oui, comme l'UMP et comme ce fut le cas amplement depuis le milieu des années 80.
Royal n'a pas simplement le mérite de dire clairement les choses elle est aussi plus engagée dans cette dérive autocratique et ploutocratique qu'on voit monter. Pour les choix économiques et sociaux les différences sont ridicules.


II Noir... de fumée :


a) Ca change tout !

La manière dont est vécue la victoire d'Obama me paraît d'ailleurs prolonger tout ça. Il fallait voir les réactions de Kaspi ou Todd pour descendre un instant de cet espèce de délire qui a secoué le pays. D'abord tout a tourné autour d'une seule et même question : il est noir !

Ca, c'était de l'analyse ! ensuite on a eu droit à des larmes là bas et ici, des tranches de réactions répétées dans la "communauté noire" aux Etats Unis et en France on mettait les micros sous le nez de personnes si possible choisies pour leur couleur de peau ou leur appartenance à une « minorité » et on avait forcément le comparatif les « USA ont produit ça et nous c'est quand ? » ce qui traduisait avant tout le parti pris idéologique de ces acteurs médiatiques plutôt à gauche mais par n'importe laquelle, celle qui parle sociétal, racisme, communauté en s'asseyant allègrement sur la question économique et sociale. On avait eu la même ânerie concernant S. Royal, une femme ! Comme si le fait d'être femme, noir, nain ou roux produisait par la génétique une politique différente !

On avait là en fait une absence totale d'analyse politique et économique aussi bien de ce qui se passait là bas qu'ici. D'abord l'arrivé d'un noir au pouvoir est certes une évolution importante et symboliquement c'est très fort pour tous ceux qui se sentent disciminés, mais enfin, ce n'est pas la fin du racisme ; sa femme est noire et les mariages mixtes ne représentent pas plus de 2% aux USA, on a une classe aisée noire ; en clair on peut être noir et aisé dans une société qui reste cloisonnée. De plus il a bénéficié du soutien des pouvoirs financiers, il a clairement revendiqué être avant tout américain et ce n'est pas une parole en l'air. Nous avons devant nous un pays dangereux car fragile, qui a construit sa croissance sur l'endettement en vivant sur le dos des autres pays pour soutenir sa dette, un pays dont le dollar est le pilier. Peut on vraiment croire qu'ils vont laisser filer sans réagir leur mode de vie, leur conception même du monde parce-qu'on le leur demande ? Parce-qu'ils viennent d'élire un président noir ? C'est ignorer déjà qu'historiquement les Etats Unis sont le fer de lance du protectionniste, notamment au XIXème siècle. C'est ignorer leur immense patriotisme et une connaissance du monde particulièrement réduite, c'est un pays monde en lui même.

Comme le soulignait récemment Todd, il s'agit plus là d'un pouvoir de nuisance immense, ses interventions guerrières ou ses continuelles humiliations envers la Russie au travers de l'OTAN, ce depuis Clinton, le montrent bien.

Si on rajoute à cela la fragilité extrême de la Chine où la croissance se fait en partie sur du vide, des entreprises qui ne tournent que partiellement, des constructions en parties vides, une interpénétration très forte avec les Etats Unis mais aussi L'Union Européenne. Une Allemagne dépendante de son commerce extérieure à près de 20% avec une population qui a accepté de perdre une part énorme de son pouvoir d'achat en quelques années de SPD et de coalition. Sans compter la ribambelle de pays dont l'Arabie Saoudite ou l'Egypte dont les pouvoirs vacillent. Nous avons là un ferment de tensions inimaginables.


b) Le monde des Bambis :

Le libre échange absolu prôné par le FMI, l'OMC et l'Union Européenne, articulé par des acteurs en chair et en os comme notre cher socialiste Pascal Lamy a déjà détruit certains pays comme l'Argentine, poussé indirectement à la famine des populations entières, transformé nos sociétés en véritables poudrières sociales... Ce libre échange intégrale voulu n'aura que deux portes de sorties :

  • Un débouché totalitaire technocratique et économique

  • mais plus probablement, par la réaction qu'il suscite, il porte en lui le retour de totalitarismes politiques et la destruction de masse, humains et biotopes.

Et on pourra encore une fois mentir et nous dire que le protectionnisme et l'Etat ,c'est la guerre! non! c'est simplement qu'il faut réagir plus tôt, comprendre avant l'heure qu'il faut ces retours de protection et d'Etat, un protectionnisme altruiste comme le souligne B. Cassen, c'est à dire non prédateur à l'extérieur, car sinon on les a mais associés à du déterminisme, de l'identitarisme haineux. Sarkozy est engagé comme Berlusconi dans cette tendance. Ne pas le voir me paraît suicidaire.

Que l'Europe soit le bon niveau, oui, que des instances internationales soient essentielles, oui encore. Mais quand on sort du monde des Bambis, on voit que nous sommes assez isolés au sein l'UE, et que réformer un organisme comme l'OMC relève d'une vision angélique. Seul un véritable bras de fer avec ces institutions peut avoir une infime, vraiment infime chance d'éviter ce qui nous menace. On peut envisager, pourquoi pas, une sortie réelle de l'OMC, puisqu'il existe déjà des zones hors AGCS virtuelles (Des villes comme Paris), mais pour cela il faut que cela s'appuie sur une action collégiale impliquant plusieurs pays; On peut aussi avoir en parallèle un protectionnisme, mais qui réponde aux angoisses des autres pays pour éviter l'affrontement, c'est à dire leur permettre de s'organiser, y compris en termes d'aide structurelle, financière, technique ; ainsi la brevetisation planétaire (atroce en ce qui concerne le vivant) est une logique qu'on peut remettre en cause si l'on raisonne en terme de zones, ce qui implique inévitablement un affrontement avec des multinationales et même des puissances économiques -en apparence- plus « proches » comme les oligopoles de l'eau, de la chimie ou de l'énergie.

Chez nous un des principaux danger, rapidement, me paraît être l'extrêmisme d'un parti de masse. Et ce clivage passe au PS dès maintenant. Il ne s'agit pas de dire que Ségolène ou d'autres socialistes sont des barbares mais qu'ils sont en train de soutenir des logiques qui poussent les populations à la barbarie. Les propos tenus par Philippe Val, BHL et consorts véhiculent cette peur de la population, parlant de cons pour ceux qui ont votés non, voyant du racisme, de l'antisémitisme, du nazisme, des barbares partout ; ils stimulent le rejet d'une gauche que beaucoup perçoivent comme coupée du monde, enfermée dans sa bulle, vivant bien et faisant la morale à tous, ne parlant que des libertés et du racisme abominable.

En clair ils construisent pierre après pierre le monde qui les effrait... Pauvres fous !

* Modifié le 19.11.08

Publié dans politique

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